ASTIER NICOLAS
POUR CE QU’ILS ME DONNENT
Il y a quelques semaines, nous sommes partis à la rencontre d’Astier Nicolas, l’un de nos quatre médaillés d’or à Rio. Nous sommes à quelques kilomètres seulement de Deauville, au cœur d’une Normandie vallonnée et magnifique, où se côtoient vaches et chevaux. Arrêté pour quelques semaines en raison d’une opération consécutive à une mauvaise chute, Astier nous accorde une interview exclusive dans laquelle il revient pour nous sur son parcours, ses objectifs, mais aussi sur sa philosophie et la vision de son sport.
Que représente CHARISMA pour toi ?
« Cela me renvoie immédiatement à Marc Todd et à l’inspiration de mes débuts. Charisma, double Champion Olympique, une référence sportive, certainement le meilleur synonyme de réussite. Je suis issu de la filière poney-club, et même si j’ai eu la chance de débuter, vers sept ans, avec Marie-Reine Perrier, la meilleure personne qui soit, et à qui je dois beaucoup, le système me déplaisait et m’a rapidement lassé. A un moment j’ai même pensé arrêter. Cette monitrice était particulièrement impliquée dans le développement de notre goût, nous faisant découvrir les trois disciplines olympiques. Mais c’est le complet qu’elle affectionnait le plus, et je ne sais pas si cela m’a influencé, mais c’est cela qui m’a plu à moi aussi. Et puis j’ai regardé les vidéos de ces deux légendes, Marc Todd et Charisma, comprenant très vite que ce sport pouvait être passionnant. Après près de douze années passées auprès de Marie-Reine, j’ai fait une école d’ingénieur agronome, et dans le cadre de mon cursus, je suis parti faire un stage de quelques mois chez Andrew Nicholson. Une expérience magique qui m’a donné l’envie de très vite retourner faire du complet en Angleterre ! J’ai trouvé une bourse, et je suis parti avec trois chevaux, Jhakti du Janlie, Quickly du Buguet, et Piaf… Ce que raconte notre sport, ce sont avant tout des histoires de couples, dans notre discipline plus qu’ailleurs, or Marc Todd et Charisma incarnent cela mieux que tous les autres ».
Piaf de B’Neville faisait déjà partie de ce voyage ?
« Oui, avec Ben (Surnom de Piaf de B’Neville), c’est déjà une longue histoire. Quand j’ai gagné mon premier international à Nîmes avec Jhakti, en 2008, Michel de Château Vieux est venu me voir et a souhaité créer un syndicat, comme cela se fait beaucoup en Angleterre, et nous avons acheté Piaf. Un personnage central avec un cheval central dans ma carrière. Le principe était de rassembler des amis passionnés autour de ce projet, en gardant un côté très friendly. Michel reste le propriétaire majoritaire, mais mon grand-père, chacun de mes frères et sœurs ou Mathieu Lemoine ont une part, pour n’en citer que quelques-uns. Oui, Marie-Reine, la première personne qui m’a mis à cheval, Michel le premier à m’avoir fait confiance, et Andrew… tous ont été très importants dans mon parcours. Ce sont les trois rencontres principales qui ont tiré les bons traits pour façonner ce que je suis aujourd’hui ».
Peux-tu nous parler de ton rapport aux courses…
« Les courses, j’adore ça ! Je suis très copain depuis longtemps avec Sophie Tallmann et Christophe Soumillon, et ça depuis mon expérience sur Equidia. Jean-Claude Rouget, un des meilleurs entraîneurs de courses de plat, a investi dans un très bon cheval de 7 ans, avec le Maire de Deauville et quelques autres propriétaires de chevaux de course. Il y a quelques semaines, J’ai passé un moment magnifique aux Brise-up d’Arqana. J’ai également fait la connaissance de Alain de Royé-Dupré, avec qui j’ai beaucoup échangé et qui m’a fait profiter de son immense expérience et de sa vision des courses. . Toutes ces personnes sont extrêmement intéressantes, et j’ai le sentiment qu’elles ont un temps d’avance sur tout. Dans les courses, tout va plus vite, les résultats doivent être quasi immédiats, sinon la carrière du cheval est déjà finie. Jean-Claude Rouget et ses copropriétaires sont venus voir le cheval à l’écurie, puis je suis allé à mon tour avec eux aux courses. C’est vraiment passionnant et prenant de suivre une réunion quand tu as un rapport particulier avec un acteur direct. J’étais avec eux, ils m’expliquaient, ils vibraient, nous fêtions les victoires au champagne. Même si je suis un fan d’obstacle à la base, je suis un fan de courses avant tout ».
Un an après, penses-tu parfois aux Jeux de Rio ?
« Peut-être pas assez, parce qu’une médaille olympique, c’est un moment rare dans la carrière d’un sportif… je suis passé très vite à l’objectif suivant, et trois jours après les Jeux, j’étais déjà en concours au Pin. Cette médaille, ce que m’a donné mon cheval durant toutes ces épreuves, cette ambiance, ce sont autant de choses dont j’ai rêvées. L’or olympique pourrait être un aboutissement pour certains, mais moi cela me donne surtout l’envie d’aller plus loin, d’aller en chercher une deuxième… Tu vois, en te répondant, je me dis qu’il faut quand même que je fasse attention à en profiter encore assez, mais c’est comme ça que je suis, et je ne pense pas vouloir changer. En même temps c’est un petit peu la maladie du sportif, et c’est une maladie que j’aime tout particulièrement. Bien sûr je ne vais pas t’expliquer que ce n’est pas la plus grosse joie de ma carrière, mais ce qui me plaît plus que toute autre chose, ce qui m’intéresse, c’est aujourd’hui et demain. Quand je vais au Lion d’Angers, ce que je veux c’est gagner le Lion d’Angers, le trophée du meilleur cavalier du concours. Bien sûr ce n’est rien par rapport aux Jeux Olympiques, mais je préfère un petit présent à un gros passé, même si certains souvenirs sont très agréables ! J’ai envie d’être régulier, d’être toujours là ! Je ne suis surtout pas blasé… Je suis bien évidemment reconnaissant de la chance que j’ai eue, avec ces deux médailles aux Jeux, des Jeux difficiles, du niveau d’un quatre étoiles, il suffit de regarder les statistiques du cross… et pourtant il y avait les meilleurs mondiaux ! Mais cette victoire à Pau en 2015, par exemple, a également été très importante pour moi. Au moment où je l’ai gagné, c’était le plus bel accomplissement de ma carrière ! ».
Tu faisais partie des dix couples engagés à Badminton cette année, quel est ton sentiment ?
« Badminton 2017, pour le coup, ce ne sont que des souvenirs douloureux. Bien sûr je voulais gagner ! Surtout que Badminton, c’est une épreuve d’outsider. Oui, je m’étais fixé l’objectif de gagner, ou en tout cas de faire un truc brillant. Je voulais repartir sur le ferry, et fêter la performance. Ce n’est pas parce que j’ai deux médailles aux Jeux que je peux me permettre une contre-performance à Badminton, bien au contraire. Même si cela s’est mal passé pour nous tous ! Je me dois au moins de rester sur le même niveau de performance ou progresser. Régresser n’a pour moi aucun sens… Piaf est Champion Olympique par équipe et Vice-Champion Olympique individuel, de plus il est sans faute dans tous ses 4 étoiles auxquels il a participé, et rapide sur le cross dans des conditions idéales, alors faire 50 secondes au cross, souffrir, puis faire 2 fautes au concours, ce n’est pas normal. Ce qui m’ennuie le plus je crois, c’est que mon cheval s’est retrouvé dans une situation dans laquelle il n’aurait pas dû être. Même si j’ai remis en cause ouvertement la construction du parcours, et je la remets toujours en cause aujourd’hui, il y a deux ou trois questions que je peux me poser quant à ma préparation. En Angleterre, j’ai toujours entraîné sur des pistes de galop en côtes, cette année, c’était la première fois que j’entraînais sur le plat. Ici le profil est pourtant très vallonné, et j’ai broyé et hersé une piste naturelle de 900 mètres en montée, et les derniers mètres, c’est de l’escalade ! Mais je n’ai pas pu l’utiliser avant fin avril, en raison de l’humidité, ce qui faisait un peu court pour Badminton. Donc tout n’est pas blanc tout n’est pas noir, et je pense qu’il y a plusieurs facteurs dans ma contre-performance, et je sais que les instructions, je vais finir de les prendre quand j’aurai préparé Piaf pour une nouvelle épreuve, que j’aurai pu tirer mes conclusions ».
Etais-tu complètement remis de ta chute à Saumur quelques semaines avant ?
« Je ne sais pas si j’étais revenu à 100% de mon meilleur physique, mais en tout cas, cela n’a pas pesé sur ma performance ». Moi, je resterai toujours admiratif du sportif qui va au bout d’un événement aussi difficile que Badminton, strapé, dès l’instant où il ne va pas au-delà de l’intégrité physique du cheval et de lui-même bien sûr.. Ce fighting spirit qui prouve que tous ne sont pas fait du même métal. « C’est vrai que j’ai parfois été surpris de voir certains cavaliers lever la main très tôt dans le parcours, surtout quand tu vois que Chris (Christopher Burton, ndlr) finit classé avec un refus! Badminton, c’est dur, c’est long, c’est un quatre étoiles, et seulement la moitié finissent le cross… Mais cela reste un jugement très délicat à porter, parce qu’il y a des propriétaires derrière chaque cheval, que nous disposons d’un circuit assez fourni aujourd’hui, et que chaque couple a une chance de bien faire sur une nouvelle épreuve le week-end suivant. Mais cette année, Il y avait aussi trop d’engagés, certains étant à la limite de l’expérience ou de la compétence nécessaires pour appréhender un concours aussi difficile que Badminton. Les qualifications internationales ne font pas toujours honneur à la discipline, et c’est regrettable. On ne peut clairement pas se permettre de mettre en danger des chevaux qui n’ont pas choisi de faire ce sport ! On doit être au moins maîtres de notre sujet avant de demander ça à nos chevaux. Alors bien sûr, Il faudrait écrémer, même si c’est difficile de trouver la bonne limite dans une discipline qui souffre du manque de compétiteurs ».
Un couple Champion Olympique qui ne gagne pas forcément Badminton, c’est peut-être aussi ce qui fait la beauté de ce sport. Ce n’est pas écrit d’avance…
« Bien sûr, et la victoire d’Andrew va dans ce sens ! J’ai vraiment cru qu’il ne gagnerait jamais Badminton, je l’avoue. Cette espèce de signe indien, de malédiction. Dans ce week-end un peu sombre pour moi, la victoire d’Andrew et Néréo a véritablement été mon rayon de soleil. Il a sauvé ma journée, He made my day, comme on dit en angleterre ! Nous l’avons vu pleuré de joie, lui qui a pourtant tant gagné. Tu aurais dû voir le nombre de cavaliers qui étaient autour de lui, à le féliciter, si contents pour lui, parce qu’il y a certainement quelques personnes qui le détestent, mais il y a surtout beaucoup de gens qui aiment Andrew Nicholson ! La différence entre le circuit court et le circuit long, c’est avant toute autre chose une histoire de gestion, au-delà du concours lui-même ! Un bon gestionnaire de carrières de chevaux, c’est sur le plus haut niveau qu’on le repère, donc sur Badminton, ou sur le circuit des 4 étoiles en général. Et aujourd’hui encore plus qu’avant… Andrew arrive à revenir 37 fois à Badminton ! C’est tout sauf facile. Moi à son âge est-ce que j’arriverai à revenir 37 fois ? C’est ça la vraie question qu’il faut se poser ! Il faut bien comprendre que ce ne sont pas 36 échecs pour une victoire, ce sont 37 succès pour un succès bonifié ! 37 essais pour un essai transformé ! Il ne manque plus que les Jeux Olympiques à son inégalable palmarès, une ligne à l’histoire d’une légende ! Il dit qu’il n’a pas de chance avec cette compétition, mais je crois sincèrement que l’on murit avec l’âge et les chutes. Andrew est certainement devenu un peu plus philosophe, et je pense qu’il profite d’autres choses que de la seule compétition maintenant ».
As-tu des modèles, des influences…
« Je suis assez fan du circuit de concours en Angleterre, mais je suis plus inspiré par l’équitation et le système de travail des Australiens ou les Néo-zélandais. Ils ont énormément de feeling bien sûr, une position parfaite comme dans les livres, grâce à beaucoup de mise en selle, mais ils ont aussi su s’entourer des meilleurs, et notamment des entraineurs de saut d’obstacle européens. Du travail et des spécialistes, c’est ça la bonne alchimie. Luis Alvarez Cervera, l’entraineur de saut d’obstacle des Kiwis a fait les Jeux. C’est une référence du saut d’obstacle espagnol et il les a métamorphosés ! Andrew Nicholson, Marc Todd, Jonnelle ou Tim Price, il leur a fait un bien phénoménal. Tim c’est un cow-boy, il n’y a pas meilleur que lui pour débourrer les chevaux, une référence dans son coin. En deux ans, Il a poli son image, il a affiné son équitation. Aujourd’hui, nos parcours de CSO font 1m30, et nous devons être plus polyvalents qu’il y a vingt ans. C’est vrai que j’ai été le premier malheureux quand le steeple a disparu de notre sport, mais maintenant je dois avouer que je suis assez fan de ce qui se passe. Même s’il y a toujours des choses à améliorer, je pense que l’on a fait les pas dans la bonne direction. Etre des cavaliers fiers juste entre eux, mais reconnus par personne d’autre, ni par les gens des courses parce qu’ils montent trop lentement, ni par les gens du dressage parce qu’ils ne montent pas assez bien, ni par ceux du saut d’obstacle parce qu’ils ne sautent pas assez haut, ce n’était pas bon. Ce n’est pas une question d’avoir besoin des autres pour être satisfait de ce que l’on fait, mais quand même… Oui, clairement, aujourd’hui les vrais dresseurs, les vrais gens de concours nous regardent différemment et commencent à trouver intéressant de nous faire travailler. En 2012, présélectionné pour les Jeux de Londres, je suis rentré d’Angleterre pour préparer Pau, et Marie-Christine de Laurière m’a accueilli généreusement chez elle. Depuis ce temps nous avons toujours gardé un lien fort. J’ai la chance de monter plusieurs chevaux issus de son élevage, dont Alerte à Malibor, un 7 ans fils de Yarland Summersong . C’est un très bon cheval avec lequel je vois loin. Je m’entends très bien avec elle, et elle partage beaucoup son expérience, au sens large, avec moi. Elle essaie d’être là pour tout ce qui pourrait m’aider. D’une manière plus générale, je suis assez curieux de ce que tous les gens font, pas toujours pour imiter, mais plus pour me conforter dans ma propre idée, dans l’équitation, dans la gestion, dans tout ce qui fait le sport d’aujourd’hui… ».
Quels sont tes objectifs à terme, ce qui va te tirer pour les 20 prochaines années, tes motivations quand tu te lèves le matin?
« Tu vois j’ai Vinci qui a fait son premier Grand National, et c’est typiquement ce qui nourrit ma motivation. J’aime plus que tout amener de nouveaux chevaux vers le plus haut niveau. Certes ce n’est qu’une étape intermédiaire, mais je rentre du Lion avec le sourire, et ce n’est pas pour la victoire derrière, mais juste parce qu’il l’a fait très bien. C’est encore un bébé, mais il m’a fait le genre de cross dont tu te souviens pendant un an. Il m’emmène du début à la fin, il a toujours bien sauté, il a été vite, il n’a jamais baissé de pied. Obtenir de son cheval ce que l’on attend de lui, au moment où il te le donne, c’est aussi un sentiment très fort. Depuis les Jeux de Rio, je n’ai pas énormément changé dans mes ambitions, dans mes envies et dans ce que j’apprécie au quotidien. Je crois que je fais partie de ceux qui ont la passion séparée de la performance. Avoir le privilège de créer une relation particulière avec un cheval, cela n’a pas de prix. Le bon cheval, c’est celui qui se donne pour moi aussi bien que je me donne pour lui à travailler, à me lever, à le soigner ou à l’entraîner. Quand j’obtiens cet échange, ce retour, alors c’est déjà un de mes plus grands bonheurs. Et quand ça se passe en compétition, concrétisant des performances, alors c’est la cerise sur le gâteau. Parce qu’il faut admette que c’est aussi dans la souffrance, dans la douleur, ou en tout cas dans la dureté de l’effort que tu vois qu’ils t’aiment et qu’ils bossent pour toi. Ma partie préférée quand j’entraîne mes chevaux de complet, c’est de les galoper. Droit, régulier, les faire pousser, les faire prendre le mors… les voir se donner quand cela devient plus difficile, découvrir le mental de celui qui va donner… On le sent déjà beaucoup dans nos canters le cheval qui donne… Celui qui est fatigué, que tu pousses et qui fait un effort, et bien déjà celui-là tu l’aimes… ».
Quels sont justement les chevaux qui t’ont le plus donné dans ta carrière ?
« Ceux avec qui j’ai eu les plus belles histoires, comme Piaf bien sûr. Jhakti, par exemple, est le premier cheval qui m’a emmené faire du 4 étoiles, c’était le cheval de ma vie d’avant. Je disais déjà un peu de lui à l’époque ce que je dis aujourd’hui de Ben. Je ne pense pas pouvoir avoir un seul cheval de ma vie, tout simplement parce que la vie du sportif est plus longue que la vie du cheval, et c’est vrai que Piaf a poussé, très objectivement, le bouchon encore plus loin. Il n’avait plus rien à me prouver et notre histoire est allée plus loin encore que ce que j’aurais pu espérer. Deux chevaux avec une générosité grosse comme eux ! Je dois admettre que je suis meilleur sur Piaf que je ne l’étais sur Jhakti… notre histoire a connu encore plus de rebondissements, a été encore plus riche. Certains disent, il y a eu ce cheval, il n’y en aura pas d’autres. Moi je ne m’avance pas là-dessus, peut-être que ce sera Piaf le Roi des chevaux à la fin, on ne sait pas… Je pense à Quickly du Buguet aussi, une toute petite jument pour qui j’ai une estime folle. Personne ne me voyait faire 2* avec elle ! Nous nous sommes alignés à Badminton en 2015, sachant pertinemment je n’avais pas une jument pour gagner. Quickly avait subi une opération un an avant, et Badminton venait comme un objectif de fin de carrière avant de partir à l’élevage. Mais les meilleurs souvenirs ne sont pas toujours répertoriés dans les livres ou les magazines. Elle fait le meilleur dressage de sa vie de 5 points, c’est beaucoup ! 45 points, 70%, et elle boucle le cross sans incident, 17 secondes en dessous du maxi malgré une option longue. Pas un mauvais saut, un régal ! Le lendemain, malgré la fatigue du cross et une locomotion réduite de nature, au moment de passer sous l’arche pour aller à la visite, elle s’est relevée de 10 centimètres, comme pour montrer à tous qu’elle était fière de ce qu’elle avait accompli. Eh bien, ce jour-là elle n’a pas gagné, sa performance ne sera répertoriée dans aucun bouquin, mais cela restera un de mes meilleurs souvenirs de ma vie. Jhakti, Quickly ou Piaf… Des chevaux qui veulent faire du sport, et qui, au-delà du cœur, ont la dureté, le mental, ce qui fait les vrais chevaux taillés pour la compétition. J’ai dans tous les cas eu la chance immense de croiser ces chevaux-là qui ont été marquants, et ce sont les chevaux qui construisent le sportif au bout du compte ».
Si tu devais choisir parmi les chevaux qui font du 4 étoiles aujourd’hui, celui qui te convient à toi ?
« Je ne crois pas que l’on puisse raisonner comme ça dans notre discipline, il faut tellement de temps pour former un couple. C’est vrai que dans le concours hippique, il y a cette espèce de mercato permanent, notamment les années précédant les grands Championnats. Si il y a un bien un marché existant vers les pays émergents fortunés, c’est souvent dans le but d’aller participer à une grande échéance, mais dans l’optique d’aller performer rapidement avec un cheval clés en main, il y a peu de transactions. Il ne s’est pas encore aligné sur un quatre étoiles, mais j’aime bien Upsilon ! Quand je le vois courir à Chatsworth, il donne le sourire. En même temps je t’avoue que je n’ai pas un recul énorme sur tous les chevaux du circuit. Mais celui-là je le connais bien, et de plus en plus on peut se laisser convaincre par son galop, parce que ça pourrait être la question que l’on se pose chez un cheval qui saute trop haut et qui bouge trop bien. Or il a fait 3* à Chatsworth, et ce n’est pourtant pas un terrain qui se laisse dompter comme ça. Quickly a été la première à réussir le maxi sur cette épreuve, en 2013, avant Chris Burton l’année dernière, et enfin deux chevaux cette année ! Il suffit de faire le calcul par rapport au nombre de départ, quatre chevaux maxi seulement en sept ans, dont Upsilon ! » .
Si tu avais le choix et que tu ne pouvais pas faire les deux, tu préfères gagner Badminton 2020 une première fois ou gagner les Jeux une seconde fois ?
« Pour ma carrière, pour la reconnaissance, pour trouver des propriétaires, trouver des sponsors, les Jeux sans aucun doute, mais d’un point de vue plus personnel… en fait je ne sais pas à quoi va ressembler le cross de Tokyo ! Alors je préfère gagner Badminton, pour moi ! Après si tu me dis les Jeux sont un vrai 4 étoiles, un vrai défi avec les meilleurs mondiaux, alors je ne sais pas ». On va la faire dans l’autre sens alors du coup. Tu gardes ta médaille d’or aux Jeux de Rio, ou tu aurais préféré une première victoire à Badminton ? « Non je garde ma médaille aux Jeux bien sûr ! D’abord parce qu’elle était en équipe, et ça n’aurait rien à voir avec ma victoire à Badminton, parce qu’individuellement je suis deuxième, pas premier. De toute façon, il faut être lucide, je n’ai pas de chevaux pour envisager faire Badminton avant ma génération des 7 ans, donc dans 3 ans au plus tôt. Le cheval pour gagner Badminton 2018, je ne l’ai pas aujourd’hui dans mes écuries ».
Que penses-tu justement de ce circuit de l’Event Rider Masters ?
« Bien entendu que ce nouveau circuit apporte un intérêt non négligeable à notre sport. C’est avant tout une magnifique vitrine pour notre discipline, mais il ne faudrait pas que cela fasse trop d’ombre aux CCI3*. Cela coûte plus cher d’engager le CCI, il y a moins d’argent à gagner, et les chevaux doivent se reposer plus longtemps entre deux épreuves. Economiquement, la logique emmène les couples vers les étapes de l’ERM. Il faudrait que cela incite les organisateurs de CCI à augmenter leurs dotations, plutôt que de les étouffer… Je ne sais pas ce que va devenir notre discipline, mais je ne souhaite vraiment pas que le format long disparaisse. Ce serait dommage, d’autant plus que c’est réservé à un autre type de chevaux et de cavaliers ».
Comment prépares-tu l’avenir, quel est ton piquet de jeunes chevaux pour les belles échéances de demain ?
« En dehors d’apprécier toute la chance que j’ai eue, ce qui m’intéresse vraiment, et ce qui m’anime le plus, depuis dix ans, c’est amener chaque année un ou deux chevaux au niveau 4 étoiles. Créer un vrai réservoir ! Mon envie c’est ça, tout le temps, fournir, fournir, fournir… Parce que le vrai sport c’est le 4 étoiles, et c’est quand même là que je veux aller ! Quand je suis rentré de Badminton, j’étais tellement énervé que j’ai monté toute l’écurie! J’ai dû travailler 12 ou 13 chevaux dans la journée. Et ça m’a fait du bien, d’en monter d’autres, qui peuvent aussi faire quelque chose, qui ont de l’avenir. J’ai besoin de sentir que j’ai une base solide de bons jeunes chevaux, c’est essentiel si je veux demain pouvoir jouer sur un peu tous les tableaux en même temps. Il faudrait en permanence quatre très bons 4 ans, quatre très bons 5 ans, trois 6 ans, et trois 7 ans. D’autant qu’il y a les chevaux qui se vendent, d’autres qui se blessent, et le cheval pour passer toutes les étapes et arriver aux grosses épreuves n’est pas si facile que ça à trouver, le bon cheval de complet est très difficile à identifier. Bien sûr nous recherchons tous les mêmes qualités essentielles qui font le cheval potentiellement armé pour le plus haut niveau, la force, le sang, la classe de galop… mais je crois qu’il y a surtout un énorme aspect psychologique à prendre en compte. J’en ai fait quelques-uns des 4 étoiles maintenant, mais je suis toujours remis face à la réalité à chaque reconnaissance, et c’est quand même souvent très impressionnant. Il faut des chevaux qui ont de la trempe ! Du courage ! Je pense que les meilleurs chevaux de complet, ceux que l’on peut qualifier d’exceptionnels, devraient être beaucoup plus chers que ceux de dressage ou de concours hippique. Ce n’est que la loi du marché qui fait qu’ils sont moins chers. Moins de demande, moins de sponsors, moins de propriétaires… Ce sont des chevaux pourtant très rares. Même Piaf n’appartient pas à la liste de ces quelques terminators ! C’est le plus généreux du monde, le terminator du mental, l’exemple même de celui qui fait avec son envie contre ses handicaps… Non je ne peux pas objectivement dire qu’il est le cheval type. Mais c’est mon Dieu à moi ! »
Texte Thomas Millot – Photo Erik Knoll