EDITO
HOMMAGE AUX ÉLEVEURS
« Samedi 07 mai. 04H00. Un homme sort de chez lui. La nuit est froide. La soixantaine passée, il a le teint hâlé et la peau rugueuse de ceux qui ont travaillé dehors. Il traverse la cour, et entre dans la vieille et chaude écurie. L’endroit est impeccable et sent bon le foin fraîchement rentré. Il ouvre le vieux coffre en chêne et remplit son seau. Quand il entre dans le box, le poulain est là, allongé dans une épaisse couche de paille aux brins jaunes et longs, il se lève, et se colle au flanc de sa mère. Il a trois jours. Il est superbe. Après avoir vérifié l’eau, le vieil homme sort de l’écurie.
Samedi 07 mai. 16H30. Le couple entre en piste. La tension est à son comble. Derniers à partir dans cette difficile Coupe des Nations, ils portent sur leurs épaules le poids du résultat de l’équipe de France. L’événement est retransmis par plusieurs chaines de télévision, et tous les regards sont fixés sur eux lorsqu’ils franchissent le dernier obstacle avec le score parfait synonyme de victoire. Dans les immenses tribunes où plus de 10.000 spectateurs ont suivi l’épreuve en direct, on peut entendre « Quel cheval formidable… ». A quelques jours des Championnats du Monde, les pronostics vont bon train et la France est en droit d’espérer une superbe performance. L’équipe est jeune, mais pleine de talent. Cavaliers, chevaux, propriétaires et entraîneur, tous sont sous les feux de la rampe… Dans les gradins, un homme est là, discret, anonyme. On l’a bien un peu bousculé en quittant les sièges. Il n’a même pas entendu les rapides « pardon ». Il reste assis, comme pour faire durer un peu plus encore cet instant magique. Tout à l’heure, pendant que tous fêteront la victoire, il refera en sens inverse les 300 kilomètres qui le séparent de la petite ferme. Arrivé, il traversera la cour, entrera dans la vieille et chaude écurie, ouvrira le vieux coffre en chêne et remplira son seau. En entrant dans le box, il observera son poulain un peu plus longtemps que d’habitude, tout en caressant la mère, presque machinalement… Pour lui dire merci, tout simplement. »
Texte Thomas Millot, Photos Collection Privée