SAGA ALMÉ
BERNARD LE COURTOIS
Mon histoire avec Almé
ALMÉ (1966-1991)
L’histoire d’Almé, cheval hors du commun, marque celle du cheval de sport moderne. Ce cheval d’exception a également marqué ma vie à tout jamais. Si le Pur-Sang Orange Peel a laissé une empreinte remarquable dans le stud-book Selle-Français entre les deux guerres (1930-1940), en créant les fondations du cheval de sport, son petit fils Ibrahim a consolidé les bases de cette grande lignée de reproducteurs et de chevaux de sport dans les années 1960-1970, période de grand développement du cheval de selle. Puis vint son arrière petit-fils Almé, qui en apothéose, consacra à tout jamais cette branche importante de l’arbre généalogique du cheval de Selle-Français. Il propagea dans le monde entier cette sève magique, de 1971 à 1990, soit pendant près de 20 ans. Almé, ayant été un des étalons précurseurs à prouver son aptitude en compétitions, il engendra une grande lignée d’étalons performers encore inégalée de champions internationaux.
Almé (Ibrahim DS x Girondine DS x Ultimate ps) est né le 16 Avril 1966, chez Monsieur Alphonse Chauvin dans le sud de la Manche. Ce poulain bai avec quatre balzanes et une large liste en tête, était beau et fort. Repéré et acheté foal par le marchand de chevaux Alfred Lefèvre, Almé avait déjà sous la mère cette présence, cette virilité, cette classe exceptionnelle, ce look d’étalon, qui ont toujours fait de lui un cheval au-dessus de tous les autres.
Aucun autre étalon, à ce jour, n’a hérité d’une telle aura ! Peut-on imaginer quel aurait été l’impact supplémentaire de sa production SF, si Almé était resté en France et avait sailli 100 à 200 juments par an de 1971 à 1985, soit en 15 ans, soit près de 2000 poulains d’Almé Selle-Français ou si, comme les étalons vedettes d’aujourd’hui, il avait sailli plus de mille juments par an à travers le monde ! De quelle renommée l’élevage français aurait bénéficié !
Alors qu’en 9 ans de monte en France, il n’a laissé en fait que 284 poulains SF.
Mais l’histoire en a voulu autrement. Almé avait été vendu à 3 ans à un cavalier amateur américain vivant en France, Fred Graham. Les Haras Nationaux ont souhaité faire l’acquisition de ce champion des 3 ans mais il n’était plus à vendre. Son propriétaire quadragénaire et débutant à cheval, montait Almé lui-même, à une époque où les étalons faisant de la compétition étaient extrêmement rares. Ceux qui ont vu sauter Almé s’en souviennent et en parlent encore avec beaucoup d’admiration. A 5 ans en 1971, Almé saillissait quelques juments au haras de la Cour Bonnet à Falaise. Mais dans le même haras, Sans Souci, gagnant du Grand Prix d’Aix-la-Chapelle mais qui s’avéra piètre reproducteur, captait toutes les juments, et sa concurrence ne lui permit d’engendrer que 7 poulains en 1972 (dont les étalons Galoubet A et Grand d’Escla) et deux en 1973, dont l’étalon Herban. Confié par la suite à Charles de Saint Laumer, Almé fit la monte deux saisons près de Chartres, tout en continuant la compétition avec Michel Parot et Bernard Genest en débutant brillamment en Grand prix 1m50. La notoriété d’Almé parmi les éleveurs-cavaliers, qui le voyaient en concours, commençait à se propager. On vit même Almé tenter le record du Monde de saut en hauteur à Paris sous la selle de son téméraire propriétaire. Il résulta de cette notoriété grandissante un léger accroissement du nombre de juments saillies. En 1974, il naît 15 poulains (dont les internationaux I Love You, Indian Tonic, lara…) et en 1975 dernière saison avant son départ, il naît 36 poulains parmi lesquels les plus célèbres seront les étalons Jalisco B, Joyau d’Or, Jolly Good, gagnants en CSIO et des bonnes juments comme Jolie Mome et Jessica D … Almé n’avait donc fait la monte que 4 ans en France avant son départ.
En 1974, Almé avait peu de produits dont les plus vieux n’avaient que deux ans lorsqu’il fut exporté en Belgique. Personne alors ne soupçonnait réellement la valeur génétique remarquable d’Almé et la perte retentissante que cela représenterait pour notre élevage national. Ce n’est que 3 ans plus tard que le phénomène Galoubet A remporta le championnat de France des 5 ans avec Gilles de Balanda pour le compte de Jean-François Pellegrin. Comme pour tous les étalons, ce n’est qu’à 12 ans que la consécration d’Almé s’officialisera avec ses premiers produits gagnants internationaux. Il avait quitté la France depuis quatre ans déjà ! Fin 1974, alors qu’il a 8 ans, Almé fut vendu à Léon Melchior pour une forte somme, presque un record pour l’époque (700 000 francs), après un procès retentissant. En effet, Fred Graham prétendit que l’étalon était loué pour cette somme, alors que Léon Melchior prétendait l’avoir acheté. L’américain perdit le procès (…).
Dès 1977, Almé se consacre a la monte et saillit de nombreuses juments d’origines belges, hollandaises et allemandes, notamment de nombreuses juments filles du hanovrien Gotthard. Bon nombre de ses filles resteront poulinières notamment au haras de Zangersheide où on les comptait par dizaines. Les filles d’Almé étaient saillies par des étalons allemands dont le holsteiner Ramiro, croisement qui donnera des résultats exceptionnels, notamment Ratina Z (Ramiro et Argentina z par Almé) l’une des vedettes mondiales de sa génération considérée comme la « jument du siècle » (XXe) ou Robin Z JO pour la Suède. Mais surtout, Almé poursuivit sa carrière sportive au niveau international. Finaliste des Championnats d’ Europe à Vienne 1977, 2e de la Coupe des Nations d’Hickstead, 4e du Grand Prix de Dortmund, 3e du Grand Prix de Vienne …Lorsque Léon Melchior a le projet de vendre en bloc tout son élevage au gouvernement hollandais, Almé (devenu Almé Z) fait partie du lot. Finalement, ce projet n’aboutira pas et seuls les étalons Almé et Ramiro seront achetés par la Hollande. Almé restera en Hollande jusqu’en 1983 sous le nom de H-Almé Z. De cette période de reproduction, on retiendra les noms de ses poulains les plus connus, Aérobic (USA), Zalmé (J.O. de Séoul), Aurora, l’étalon de tête Animo etc…
En France les poulains d’Almé grandissaient et son premier fils étalon, Galoubet A (Viti TF par Nystag TF) né chez Colette Lefranc-Ducornet (27) après avoir remporté le Championnat des 5 ans et figuré parmi les meilleurs 6 ans de sa génération, abordait une remarquable carrière internationale. Champion de France, tête de liste des chevaux français de CSO. En 1981, Galoubet pointait successivement à la 5ème place de la Coupe du Monde 1981 et du Championnat du Monde 1983 où il est Champion du Monde par équipe. Ses célèbres ruades en firent une grande vedette médiatique. Ses débuts au haras en 1981 ne passèrent pas inaperçus puisqu’il était le premier étalon français utilisé en insémination artificielle et autorisé à servir jusqu’à 100 juments par an. Galoubet augurait de la réussite époustouflante au haras de son père Almé. Car Galoubet fût bientôt rejoint par son demi-frère I Love You (Elyria sf par Nykio TF) qui après des débuts très prometteurs (2ème du championnat des 5 ans et 3ème du Critérium des 6 ans), Champion de France des cavalières à 7 ans, fut exporté aux USA pour un prix record alors jamais atteint, puisqu’on parla de plus de 4 millions de francs de 1981. C’est sous la selle de son cavalier américain Norman Dello Joio qu’I Love You remporta, outre le titre de Champion de la World Cup 1983, vice Champion 1984 et » Horse of the year », de nombreux Grands Prix internationaux et pré sélectionné olympique 1984. Avec plus de 2 millions (FR) de gains, I Love You était l’étalon le plus riche du Monde (les gains et les prix des chevaux étaient moins élevés, il y a 30 ans !). Puis d’autres fils d’Almé suivirent les traces de ces deux grands champions tels Herban et Jolly Good (propre frère d’I Love You) grands vainqueurs aux USA pour Fred Graham, Joyau d’Or grand vainqueur international, membre de l’équipe italienne aux J.O. de Los Angeles. Jalisco B membre de l’équipe de France en CSIO, participant aux JO de Séoul sous couleurs portugaises, qui deviendra un grand chef de race SF. Outre ces grands champions internationaux, Almé avait engendré de nombreux bons chevaux de jumping, car il faut savoir que, fait rarissime, 72% de sa production née en France de 1972 à 1975 est gagnante en jumping et 30% de ses poulains mâles sont devenus étalons approuvés. Du jamais vu !
Mais en ces années 1981-1983, où la petite production française d’Almé se couvrait de gloire sur toutes les pistes du Monde, le fils d’Ibrahim saillissait en Hollande. Almé avait été opéré d’une hernie inguinale et de ce fait devenu monorchide fin 1983. Le gouvernement hollandais, propriétaire de l’étalon, le réforma. La compagnie d’assurance le revendit au marchand belge François Mathy et c’est alors qu’il est revenu faire la monte à Zangersheide en 1984.
Mais me direz-vous, que font les français pendant ce temps là ? Qu’attendent ils pour rapatrier l’étalon ? C’est l’occasion ou jamais ! J’avais eu vent de cette vente et du retour d’Almé à Zangersheide. Par hasard, j’avais assisté à une conversation téléphonique dans les bureaux de l’UNIC entre le le marchand belge François Mathy et le staff français (DTN de la FFE et les inspecteurs et directeurs des Haras Nationaux). Ceux-ci ont été dramatiquement incompétents ! Ils ont offert 300 000 fr de l’époque pour le meilleur étalon du monde. C’était moins cher que ce qu’ils achetaient des entiers de 3 ans à l’époque. Honteux ! J’ai entendu ces gens dire » il est vieux (18 ans), monorchide, et puis qu’a-t-il produit de si bien à part Galoubet, I Love You et Jalisco ? ». Le directeur de l’UNIC Christian Meunier accepta de me donner les coordonnées de son interlocuteur et je décidais donc d’aller visiter ce célèbre haras de Zangersheide et de voir cet étalon qui me faisait tant rêver. Je constatais qu’Almé était encore un admirable cheval malgré ses 18 ans et sa vie mouvementée. J’appris également que deux nouvelles offres avaient été faites pour son rachat. Non pas des français, mais des américains et des vénézuéliens. Les uns proposaient des dollars sonnants et trébuchants, les autres des milliers d’hectares de pampas. Que pouvais-je proposer contre ces géants économiques, moi, modeste éleveur français, certes passionné d’élevage, mais sans un sou ? Je ne connaissais aucun mécène passionné comme moi par l’élevage, aucune banque ne m’aurait prêté l’argent nécessaire. Que pouvais-je faire pour rapatrier Almé en France ?
Pourtant cela devint une idée fixe, cet objectif devint une obsession. Quelques mois auparavant, de retour des Jeux Olympiques de Los Angeles après avoir discuté avec Pierre Durand, j’avais eu l’idée de sortir du purgatoire un étalon de 17 ans que j’aimais beaucoup, le pur-sang Laudanum gagnant en CSIO, qui était tombé dans l’oubli, expédié dans le Sud Ouest de la France où il n’avait sailli en 1984 que 9 juments. Pour cela j’avais appliqué un principe fréquent dans le monde des courses, la syndication, c’est à dire la vente en copropriété. Chaque part donnant droit à une saillie gratuite par an. La syndication de Laudanum avait été une réussite et l’étalon avait sailli dès l’année suivante 63 juments. Fort de ce succès, je décidais de mettre en oeuvre le même principe pour sauvegarder notre patrimoine génétique SF en ramenant Almé aux éleveurs français. Les négociations furent longues et difficiles car il fallait que le vendeur accepte d’être payé une fois toutes les parts du syndicat vendues. J’ai eu souvent des périodes de déprime car mon interlocuteur revenait sans arrêt sur ses engagements, sans vouloir signer le moindre contrat. Le temps passait et de ce fait la saison de monte 1985 fut perdue pour nous. Almé resta à Zangersheide. Ne voyant pas le bout du tunnel dans cette affaire, malgré mes nombreux déplacements en Belgique, je sollicitais, par le biais de l’Eperon, les éleveurs français pour envoyer des juments à la saillie là-bas, car je croyais la partie perdue et le cheval exporté vers les Amériques à tout jamais. C’est ainsi qu’une vingtaine de juments françaises allèrent à la saillie d’Almé en 1985, bien qu’un peu tard en saison dont une des miennes. Les Américains étaient prêts à mettre beaucoup d’argent pour l’achat d’Almé. Il ne faut pas oublier que son fils Galoubet avait été syndiqué aux USA l’année précédente pour 2 millions de dollars ! Ils pouvaient s’entêter. Cependant les faiblesses d’Almé jouaient en ma faveur. Je gagnais le premier round de ce combat, Almé ne pouvait pas aller aux USA à cause d’un test de piroplasmose positif. Ne baissant pas les bras, les américains décidèrent de laisser Almé en Belgique et d’importer sa semence congelée. Deuxième round gagné, la semence d’Almé n’a jamais été congelable. Les américains abandonnaient donc la partie. Il restait sur le marché les vénézuéliens. Là ce fut le dialogue qui en vint à bout. Cela faisait 9 mois que les négociations avaient débuté. J’étais excédé et à deux doigts de tout abandonner lorsqu’au Championnat d’Europe Juniors à Fontainebleau en Juillet 1985, je posais un ultimatum. Je repartais après bien du mal avec mon contrat enfin signé. Almé reviendrait en France et serait syndiqué. Sa rentrée officielle se ferait un mois plus tard au CSIO de Dinard à l’occasion du Championnat d’Europe 1985. Le pari incroyable était gagné. J’annonçais donc dans l’Eperon d’Août 1985, le retour « incroyable et inespéré » d’Almé.
Pour ceux qui ne s’en seraient pas encore rendu compte ou qui n’ont pas eu encore à en souffrir, je leur signale que le « Milieu » du cheval porte bien son nom. Que de ragots, de mensonges, de médisances, de diffamations colportés sur le compte d’Almé, pour le seul plaisir de nuire à autrui par pure jalousie ou bêtise (heureusement il n’y avait pas encore les Forums sur internet !), même par des gens qui faisaient autorité dans ce « milieu » et que je croyais jusque là intelligents et honnêtes. A les entendre Almé n’était plus qu’un vieillard stérile … et moi un affabulateur, pour résumer la situation … Le retour d’Almé devait décidément en déranger plus d’un, notamment les étalonniers qui avaient certains de ses fils ou petit-fils.. Evidemmen le jeune éleveur sans expérience que j’étais passait pour un « charlot » et c’est peut-être l’appellation la plus douce dont je fus affublé. Pour la présentation à Dinard, Almé était caché aux écuries de La Touche Porée chez Bruno Souloumiac en grand secret. Seul Alfred Lefèvre, le célèbre marchand de chevaux qui l’avait acheté foal, fut autorisé à venir le voir, la veille. Mais la présentation d’Almé à Dinard remit un certain nombre de choses à leur place et cloua le bec à ses nombreux détracteurs. Almé, âgé de 19 ans, était dans une forme éblouissante. Je me souviendrai jusqu’à la fin de mes jours de cette présentation sous les yeux ébahis de centaines de personnes au paddock du concours qui tournaient autour du cheval et qui se donnaient le mot… « c’est Almé » ?! Subitement, des courtiers se ruaient sur moi pour acheter la moitié ou la totalité de l’étalon. Un courtier célèbre et pas encore étalonniers à l’époque (dont je tairais le nom) se fit réprimander par son plus gros client italien qui lui dit « Almé était à vendre et vous ne me l’avez pas dit ! ». Tout le monde devenait flatteur et obséquieux. Les mêmes qui avaient dénigré le retour d’Almé en France retournaient leur veste. Et puis le grand moment démarra. La présentation d’Almé en piste, tenu en main par un jeune cavalier breton, Yannick Patron. Je me souviens de cette musique magique, la Sarabande de Haendel, qui saluait l’entrée d’Almé sur le grand terrain de Dinard, sous les yeux ébahis de plusieurs milliers de spectateurs, médusés par la beauté et le charisme de ce cheval dont la renommée atteignait, semble-t-il, son apogée. Ce fut un grand moment à la fois de plaisir et de satisfaction. Plaisir de ce spectacle d’un étalon admirable dont subitement tout le monde semblait reconnaître les vertus, mais aussi la satisfaction du travail accompli. Je le dis en toute modestie, ce fut un moment de fierté pour ce jeune homme de 31 ans que j’étais à l’époque.
Tout ce qui a suivi fut également grisant et extraordinaire. Tout d’abord, la syndication. Cela fut mené « tambour battant », en quelques jours la centaine de parts était vendue et les fonds nécessaires à l’acquisition d’Almé réunis. Près de 400 demandes de participation me sont parvenues en quelques semaines. De véritables fans d’Almé m’ont contacté, certains malheureusement trop tard pour eux. Chaque jour, je devais renvoyer les chèques des retardataires. Certains m’envoyaient des chèques en « blanc » accompagnés du mot suivant » j’ai appris qu’Almé était syndiqué, je ne connais pas les conditions, mais veuillez me réserver une, ou deux parts. Ci-joint un chèque que vous voudrez bien compléter »… N’est-ce pas incroyable ! Almé fut syndiqué en 48 heures en 100 parts dont je conservais 10% à titre de commission. François Mathy, le vendeur, fut payé «rubis sur l’ongle » dans les jours qui ont suivi. Merci à lui de m’avoir fait confiance, même s’il a mis ma patience à rude épreuves pendant ces longs mois d’incertitude. Cet engouement et cette confiance de ces « afficionados » d’Almé me confortaient dans cette entreprise. C’est, sans nul doute, cette syndication d’Almé qui aura été le détonateur et me décida à franchir le pas et m’installer en Normandie comme éleveur-étalonnier dans cette ferme dit Le Logis à Brullemail que j’ai transformé en haras à partir de 1986.
Mes débuts professionnels d’éleveurs sont donc intimement liés à l’arrivée d’Almé après celle de Laudanum. Mais à cette époque habitant encore Paris, je devais trouver un établissement pour stationner Almé et susceptible d’accueillir les 100 juments qui ne manqueraient pas de venir à la saillie chaque saison de monte. Les haras de cette taille et ayant l’expérience de l’insémination étaient très rares en 1985. Seul le haras de Villepelée (à 15 km de Brullemail) répondait à ces conditions car c’est là que Galoubet avait débuté les inséminations. Et puis ainsi Almé faisait la monte dans la circonscription du Pin, région où étaient nés ses 3 meilleurs produits : Galoubet A chez Madame Lefrant (Eure), I Love You chez Monsieur Pelissier (Orne) et Jalisco B chez Monsieur Sabras (Orne). Almé a servi en insémination artificielle de semence fraîche en 1986 et 1987, 100 juments par saison ; juments venant des 4 coins de la France, de Belgique, de Hollande, de Grande Bretagne, de Suisse ou d’Italie. En 1988 et 1989, je limitais l’étalon à 80 juments, puis seulement 60 en 1990 à cause de son âge et de son état de santé. Des 420 juments servies en 5 ans avec un bon taux de fertilité de 78% (de 70 à 85% selon les années), beaucoup furent exportées. On peut considérer que 20% des juments pleines donnèrent naissance à un poulain à l’étranger (juments étrangères ou exportation de juments pleines). De plus, il faut ajouter les exportations de poulains fort nombreuses notamment vers l’Italie, la Belgique ou la Suède qui ont acheté par dizaines les poulains d’Almé de tous les âges à cette époque où le marché était très florissant. Le commerce autour des poulains d’Almé était remarquable depuis son retour en France. Les records enregistrés pour l’achat de foals, ont été établis aux ventes Fences : 265 000 Frs TTC (62 000€) pour une foal baie, propre soeur du Champion du Monde I Love You en 1989 et 230 000 Frs (54 000€) pour un foal alezan, de la famille du crack Flambeau C en 1990. Bien d’autres foals ont été négociés de 80 à 200 000 Frs (15 000 à 50 000€) à l’amiable, des 3 ans entiers de 300 000 à 1 million de francs (70 000 à plus de 200 000€).
Certes la saillie d’Almé était chère, 14 000 FR (3500€) pour commencer et enfin 20 000 Frs (4500€) les dernières années et cela sans condition quelque soit le résultat de la saillie. Mais le jeu en valait la chandelle. Quel étalon offrait une si grande notoriété à cette époque, mis à part ses fils Galoubet ou Jalisco ? Quant aux actionnaires, quelle satisfaction de pouvoir disposer chaque année d’une saillie d’Almé. Certains d’entre eux, méfiants sans doute à cause de son âge, revendirent leur part au terme de la première année, empochant un dividende de près de 70% ! D’autres, attendirent deux saisons avant de revendre leur part empochant près de 150 % du capital investi. Mais les plus avisés ou les vrais éleveurs, les purs, ne spéculèrent pas sur la vente des saillies, ils les utilisèrent avec leurs juments. A terme, malgré certains déboires de l’élevage (juments vides, qui avortent, poulains morts…), ce sont eux les grands gagnants de la syndication. Ils auront d’une part, la grande satisfaction d’avoir participé au retour d’Almé, de lui assurer une pérennité en faisant naître des poulains de ce grand chef de race qui a si bien croisé avec la jumenterie française, de valoriser leur élevage, d’en tirer des profits substantiels lorsqu’ils ont vendu les poulains, et certains de préparer l’avenir en conservant des femelles ou des mâles.
J’ai décidé de mettre Almé à la retraite en Août 1990 après la saison de monte. L’étalon était devenu très poussif et son état de santé avait beaucoup baissé. J’ai donc rapatrié ALME à la maison, avec la grande satisfaction de lui offrir une belle retraite, chez moi au haras de Brullemail.
Hélas, là encore, certains m’ont montré qu’ils étaient capables du pire. Certains actionnaires se sont très mal conduits, soit en cessant de co-financer la retraite d’Almé , soit, horreur, en demandant même son euthanasie puisqu’il ne pouvait plus saillir ! Enfin, oublions ces gens là pour ne garder que les bons souvenirs.
De mon bureau, je voyais chaque jour Almé, la tête à l’extérieur de son boxe, cette tête si expressive malgré ses 25 ans. J’entendais son hennissement aigu, si particulier, comme celui d’un dauphin, lorsque les poulinières traversaient la cour pour aller ou revenir des herbages. Bien que très amaigri, malgré un appétit encore excellent, Almé était comme certains vieillards qui vont du coin du feu à la fenêtre et qui vivent au ralenti.
Les derniers jours, il s’économisait, mais prenait grand plaisir à sa petite sortie journalière sur la pelouse du Haras en liberté pendant que le groom nettoyait son box. Almé aura eu une vie bien remplie par sa carrière sportive et d’élevage. Sa gloire a franchi toutes les frontières et son nom est honoré dans tous les pays du monde où il y a des éleveurs ou des cavaliers. Son rayonnement par sa descendance n’a d’égale que celui de Northern Dancer chez les pur-sang, chef de race auquel il a été souvent comparé avec leur robe assez similaire. La succession d’Almé est bien assurée par l’extraordinaire qualité de la production de ses glorieux descendants. Dans les années 80, on aurait pu constituer une équipe olympique uniquement avec des fils d’Almé (Galoubet, I Love You, Joyau d’Or, Jalisco). Seul Furioso (ps) dans les années 60 aurait pu en faire autant. Et dans les années 90, Jalisco pouvait avoir la même prétention, lui qui est issu du croisement Almé et Furioso. Sans doute aurait-on pu aussi faire cela dans les années 2000 avec les produits de Quidam de Revel (Jalisco). Ne dit-on pas qu’Almé est l’ancêtre de plus de 22 % des chevaux participant aux Jeux équestres mondiaux de 2002 et 3 des 4 chevaux de la finale l’avaient dans leur pedigree. On dit aussi que près de 40% des chevaux des JO de Londres en 2012 étaient issus d’Almé, ce qui est énorme.1990, était l’année de la retraite d’Almé au haras de Brullemail et c’était aussi l’année du titre de Champion du Monde d’Eric Navet avec le jeune étalon Quito de Baussy, un petit fils d’Almé.
Almé restera dans les annales comme l’étalon du XXe siècle. Il a connu plusieurs vies comme reproducteur, débutant en France de 1971 à 1974, puis à Zangersheide (1975-1979), en Hollande (1980-1984), Zangersheide en 1985 avant de revenir en France (1986-1990). Il a donc fait la monte 11 ans en Belgique et Hollande et 9 ans en France. C’est toujours avec émotion que je pense à lui ou évoque le souvenir de ce grand chef de race mondial. Son influence a été énorme dans tous les grands stud-books. Sans doute est-ce du aussi à sa carrière de Globe Trotter, lui qui a partagé sa vie entre la France et le Benelux.
Almé s’est endormi pour l’éternité le 21 Mars 1991 à 21 heures, jour du printemps, et j’étais à ses côtés. Il était âgé de 25 ans, profitant d’une douce retraite bien méritée, au terme d’une longue carrière que nous avons retracée ici, non sans émotion. C’est une chance inespérée de croiser sur son chemin d’éleveur un tel cheval, et je remercie la bonne étoile qui m’a fait connaître une telle satisfaction et un tel honneur. Almé a fait partie de ma vie. Il a lancé ma carrière d’éleveur-étalonnier. Il a grandement participé à la notoriété des chevaux que le haras de Brullemail a élevés, et figure plusieurs fois dans les pedigrees des poulains que je fais naître depuis 35 ans.
Mais je me suis toujours dit qu’il n’était pas question de ne vivre qu’avec ses souvenirs. Il faut penser à l’avenir. L’élevage est un travail de tous les jours et de longue haleine. Il faut préparer la relève et se mettre en quête de nouveaux reproducteurs. C’est ce que je fais avec mes jeunes étalons. Sans doute, parmi ceux-ci, ai-je toujours cherché à retrouver cette lueur dans le regard, ce charisme qui ont fait d’Almé un phénomène de cette trempe.
Texte Bernard Le Courtois, Photos Collection Privée