JAGUAR MAIL
JAGUAR MAIL
La naissance d’un idéal…
Comment un étalon gagnant en CSI et finaliste des Jeux Olympiques en Jumping est devenu le leader des étalons pères de gagnants en CCI dans le monde ?
Il faut commencer, comme toujours en matière de sélection, par sa mère Elvira Mail (Laudanum ps x Adoret z x Almé sf). En 1995, Elvira avait 3 ans. C’était une jolie pouliche alezan brûlé de taille moyenne et très signée de son père le merveilleux Laudanum, Pur-Sang gagnant en CSIO, et petit-fils de Mourne. Elle était le fruit du croisement des deux premiers étalons avec lesquels Bernard Le Courtois à débuté son activité professionnelle d’étalonnier : Laudanum et Almé. Le fondateur du Haras de Brullemail nous rappelle qu’Elvira avait déjà un excellent propre frère, Chergar Mail, de deux ans son aîné, qui était très doué à l’obstacle. Il sera d’ailleurs bon gagnant en CSIO avec Philippe Rozier (ISO 165) avant de mourir trop jeune, dans sa onzième année. Elle avait également un jeune frère d’un an de moins qu’elle, Fergar Mail qui était, quant à lui, « surdoué » en liberté à 2 ans. Monté par Eric Navet jusqu’à six ans, il fût vendu au marchand hollandais Jan Tops pour le milliardaire mexicain Alfonso Romo, chez qui il sera débaptisé en Chapultepec La Silla, et deviendra l’un des ses étalons fondateurs.
Testée à l’obstacle en liberté à deux et trois ans, Elvira montra une certaine facilité et adresse, mais il était difficile d’évaluer sa puissance. Bernard Le Courtois décidait de la faire saillir vu son potentiel génétique, et la qualité hors norme de ses frères. « Sur le plan de la sélection, mettre Elvira au travail, c’était sans doute du temps perdu. De toute évidence, elle nécessitait un étalon avec de la force, qualité qui semblait lui manquer ». Elle fut donc saillie par le jeune étalon vedette du Haras de Brullemail, Alligator Fontaine, alors âgé de sept ans, et qui débutait une belle carrière internationale. La jument fut gestante, mais hélas avorta. Elle est donc finalement partie au travail quelques mois afin d’en savoir un peu plus sur ses dispositions physiques et mentales, avant d’être saillie à nouveau, au printemps de ses quatre ans. Le choix se porta cette fois sur le magnifique et puissant Pur-sang Hand In Glove, également propriété du Haras de Brullemail, gagnant en Dressage puis en CSIW aux USA. Hand In Glove deviendra le père de nombreux gagnants internationaux, dont certains accéderont aux Championnats du Monde et Jeux Olympiques, en saut d’obstacle et en concours complet. « Hand In Glove, que nous surnommions « Pol », avait tout ce qui manquait à Elvira, c’est-à-dire de la taille, plus de force, plus de puissance, plus d’amplitude et de locomotion. Certains auraient sans doute craint l’excès de sang du futur poulain (83,64%), mais j’ai toujours pensé que les chevaux n’en avaient jamais trop. Mon modèle du cheval de sport était un Pur-Sang aux formes surlignées, avec une bonne aptitude au saut ». De plus, Hand In Glove était un cheval équilibré dans son physique et dans sa tête, tout comme l’était Laudanum, le père d’Elvira. Des Pur-Sang à « sang froid » qui ont fait de belles carrières en CSI, avant de devenir d’excellents reproducteurs. Elvira donna donc comme premier à son naisseur « un superbe mâle bai foncé, avec de la taille et des rayons. Jaguar Mail correspondait exactement à mes attentes ! »…
En 1997, Bernard Le Courtois lance la carrière en France du très puissant Calvaro. Le choix fût assez évident, et pour son second poulain, Elvira Mail fût croisée avec le champion holsteiner. De ce croisement naquit une ravissante pouliche baie, très sport et dans le sang, qui deviendra elle aussi une immense championne, Katchina Mail : « Avec le recul, je me suis dit que si je n’avais pas suivi mon instinct, et si j’avais fait exploiter en concours Elvira à quatre et cinq ans pour éventuellement faire les finales, je n’aurais pas donné naissance à ces deux incroyables champions Jaguar et Katchina ! ».
Un parcours exemplaire…
Jaguar participa avec sa mère aux concours de poulinières, accédant au concours Regional du Pin. Il fut ensuite un poulain sans problème, agréable à manipuler et à élever. A deux ans, il fût mis sur les barres pour avoir un aperçu de sa locomotion, de son équilibre, de sa technique et de sa force. « J’ai découvert un poulain époustouflant dès le premier franchissement de barres au sol. Il sautait en haut des chandeliers, en basculant le dos à la verticale ! D’ailleurs, l’année suivante, je fis sauter sa sœur Katchina qui fit les mêmes sauts extravagants, « cul par dessus tête », et les genoux dans les ganaches ». Jaguar ne fit pas les concours d’étalons à trois ans, Bernard Le Courtois estimant qu’il n’avait pas le profil recherché à l’époque par les Haras Nationaux. C’était un cheval haut sur jambes, avec beaucoup de rayons mais selon lui, pas dans le type « normand » traditionnel. Confié au cavalier Bruno Coutureau, Jaguar Mail débuta le cycle classique des quatre ans avec succès, réalisant 12 parcours sans faute sur 14, dont deux « double sans faute » au CIR, puis à la Finale. Classé ELITE du Championnat des 4 ans, il fût approuvé par le stud-book SF cette même année.
A l’époque, les 4 ans pouvaient faire des « épreuves d’extérieur », l’équivalent de petits parcours de cross, et obtenir ainsi des points de Bonus pour la championnat. Jaguar Mail y fut brillant et attira l’attention de l’entraîneur national de concours complet de l’époque. Celui-ci demanda aux Haras Nationaux d’en faire l’acquisition pour l’équipe de France. La proposition était importante pour un quatre ans à destination CCE… un million de francs de l’époque soit environ 200 000€ de nos jours. Mais à la réflexion, Bernard Le Courtois n’était pas vendeur de son jeune étalon : « Je ne souhaitais pas que Jaguar fasse une carrière spécifique en CCE. Non pas que je minimise cette discipline que j’adore et où j’ai de nombreux produits « Mail » ou issus de mes étalons qui y ont brillé jusqu’au plus haut niveau, mais du point de vue de sa carrière d’étalon, cela n’aurait pas été le bon choix ». En effet, le fondateur du Haras de Brullemail comprend que son étalon aurait très rapidement eu une image « CCE », ce qui à ses yeux ne lui aurait pas permis de saillir beaucoup à ses débuts, compte tenu du faible nombre d’éleveurs spécialisés dans cette discipline. En revanche, en faisant une belle carrière en Jumping, Jaguar s’ouvrait à tous les éleveurs recherchant un bel étalon performer, près du sang, avec un superbe modèle, de l’amplitude et des performances en CSO. A cinq ans, Jaguar fut également finaliste à Fontainebleau et classé « Excellent ». Passé à six ans sous la selle de Patrice Delaveau. le fils de Hand In Glove est à nouveau finaliste à la Grande Semaine de l’Elevage. A 7 ans en 2004, Jaguar est 4e du Championnat de sa génération, et 2e des étalons.
Premières Olympiades « Mail » !
A 8 ans, la carrière internationale de Jaguar Mail débute au CSIO de La Baule et il obtient cette année-là le superbe indice sur performances ISO 160. Parallèlement et à partir de 2002, Jaguar Mail débuta également la monte en IAC, rencontrant d’emblée un franc succès, et saillissant une centaine de juments en France, et quelques-unes à l’étranger. L’année suivante, il en saillit 180, puis de 2005 à 2008 entre 100 et 200 par an. Si les éleveurs de toutes les régions semblaient apprécier Jaguar, Bernard Le Courtois regrette que les éleveurs normands, notamment ceux de la Manche, ne se soient pas précipités sur cet étalon 7/8è Pur-Sang au pedigree outcross : « , « Jaguar était pourtant si facile à croiser avec les pedigrees normands consanguins sur Ibrahim, Nankin ou Grand Veneur ! Certains reprochent aux éleveurs d’Anglo-Arabe d’être génétiquement « à la traîne », mais il faut reconnaître qu’ils ont été plus intuitifs ». En effet, c’est avec la jumenterie Anglo-Arabe du Sud-Ouest de la France que Jaguar aura eu certains de ses plus beaux succès.
En 2007, sollicité par le haras de Flyinge, avec lequel il collaborait déjà, Bernard Le Courtois eut l’opportunité de louer Jaguar, afin de faire la monte en Suède, tout en concourant avec le cavalier olympique Peter Eriksson. Cela ne se fit pas sans la consultation de Patrice Delaveau, mais ce dernier tenait avant tout à conserver la sœur Katchina, avec laquelle il deviendra Vice-Champion du Monde quelques années plus tard. Jaguar fut donc essayé avec succès par le talentueux cavalier médaillé et partit en Suède. Dès le printemps 2007, Jaguar saillissait 180 juments dans son nouveau pays d’adoption, tout en concourant en CSI. Il devint Vice-Champion de Suède, participa à plusieurs CSIO, et remporta également le Sire Of The World, aux Championnats du Monde de Lanaken. L’année 2008 était celle des Jeux Olympiques de Pékin. Après sa participation aux Coupes des Nations et Grands Prix des CSIO de Rome, Saint Gall et Rotterdam, il se retrouve qualifié pour les Jeux Olympiques. Jaguar sera Finaliste, 32e en individuel et 5e par équipe : « Evidemment, pour nous éleveurs-proprietaires, se fut un voyage exceptionnel et l’un des grands moments d’émotion de notre carrière ». Pour la petite histoire, et pour témoigner de l’excellent tempérament de cet étalon, Bernard Le Courtois nous raconte que Jaguar saillissait encore, à Flyinge, la veille de son vol pour les JO de Hong Kong !
Jaguar fit encore une troisième saison en Suède en 2009, puis retrouva Patrice Delaveau à l’occasion des CSIW d’Oslo et Helsinsky, transporté de Suède par le camion de Rolf Goran-Bengtsson en Octobre 2009. L’année suivante, Jaguar fait la monte au Haras de Brullemail et en fin de saison rejoint la talentueuse cavalière junior Margaux Rocuet. Ils gagneront ensemble le titre de Champion de France Young Rider 2010. En 2011, Jaguar terminera sa carrière sportive, loué au Haras du Val Henry pour leur cavalier Ronan Lerat, avec lequel il se classe en Grands Prix 1m50.
Jaguar Mail pose sa griffe sur la ranking…
Avec une moyenne de 50 à 60 juments servies en France chaque année entre 2009 et 2012, Jaguar Mail saillit paradoxalement moins qu’auparavant, sans doute en raison de l’augmentation de son prix de saillie. Mais cette baisse du nombre des prétendantes en France est compensée par un succès accru à l’exportation. En effet, la production gagnante internationale en concours complet de Jaguar commence à se faire connaître au-delà des frontières.
Malgré les succès à répétition de sa production dans les Championnats de France à Pompadour ou aux Championnats du Monde des 6 et 7 ans au Lion d’Angers (Risotto Mail, Ténareze, Vassily de Lassos, Vanua de Nyves…), et des vedettes internationales comme Radijague, Pin Up de Mai ou encoreTrésor Mail, les éleveurs français commencent à le « bouder ». Bernard Le Courtois décide alors de l’envoyer en 2013 faire la monte en Grande Bretagne, où il est très sollicité. Il y retournera à nouveau en fin de saison 2014, avant de rejoindre la Hollande cette fois, pour deux saisons. Là-bas, il servira une jumenterie du Benelux et d’Allemagne, pays d’adoption de son meilleur produit en CCI, le fabuleux Fisher Takinou, ex Takinou d’Hulm, double Champion d’Europe 2015, à Blair Castle, en Angleterre. Compte tenu également du succès de ses premiers produits britanniques, Jaguar Mail est reparti en Grande Bretagne en 2017.
Depuis 2019, il est de retour sur le territoire français. De sa terre natale, Jaguar est témoin des performances exceptionnelles de ses produits et de leurs classements de plus en plus significatifs dans la hiérarchie mondiale. Depuis le début de sa carrière d’étalon, Jaguar Mail a toujours été classé parmi les meilleurs pères de gagnants en concours complet internationaux: 10 fois consécutives dans le TOP 100 de 2012 à 2021, dont ces quatre dernières années dans le Top 3 mondial ! Classé 3è en 2019 et 2020, il monte sur la deuxième marche en 2017 et 2018…En 2021, Jaguar est le seul étalon au monde à avoir pas moins de 8 produits classés parmi les 250 meilleurs performers, au plus haut niveau en concours complet, selon la Sire Ranking WBFSH.
A 25 ans, ce grand Sire s’est posé sur le toit du Monde !
Sang pour sang polyvalent !
Si Jaguar Mail domine effrontément le classement des meilleurs pères de gagnants en concours complet depuis cette dernière décennie, les qualités physiques et mentales qu’il transmet font de lui également un excellent père de champions en saut d’obstacle, avec une production performante, en France comme à l’étranger, et ce jusqu’au niveau CSI5*. Jaguar a aujourd’hui sur le circuit international, des produits selle-français et anglo-arabe, mais également d’excellents produits suédois, argentins, anglais, irlandais, hollandais, allemands et même quelques produits australiens ou sud-africains ! Ce talentueux étalon bai foncé est brillant, dans le sang, avec de la taille (1m76), de l’étendue, des jarrets larges et d’excellentes angulations. Il a un super caractère, une excellente bouche, un bon équilibre, un oeil intelligent, de très bons tissus et d’excellentes allures. S’il marche très bien au pas et trotte avec souplesse et cadence, c’est son galop qui est le plus spectaculaire, souple, ample, délié, équilibré. Jaguar a donc une production polyvalente, avec de très bons chevaux, et pour lesquels plusieurs débouchés semblent offerts.
Parmi ses meilleurs produits gagnants en saut d’obstacle à haut niveau en CSI et CSIO, on peut citer parmi tant d’autres : Westbrook, ex Diabeau, est issu de la première génération née en Suède en 2008, et gagnant en CSIO 5* avec Peder Fredricson. Il est entre autres 4è du Grand Prix d’Europe lors du CSIO d’Aix-la-Chapelle 2018, et vainqueur du Grand Prix 1m60 au CSIO de Gijon 2019. PM Jumping Lady, quant à elle est Championne de Hongrie en 2015, et performante en CSIO. PM Jolywood et Magnus Jaen Mail évoluent également au niveau 5*, respectivement sous couleurs américaines et mexicaines…
JAGUAR MAIL, c’est en quelque sorte un idéal, un 3/4 Pur-sang issu d’ étalons qui ont participé à la renommée de Brullemail : Hand In Glove, ps x Laudanum, ps x Almé, sf…
Texte Bernard Le Courtois et Thomas Millot, Photos Collection Privée